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PHILOSOPHIAE

Vies et doctrines des philosophes de l'Antiquité

Solon

Solon

Solon, de Salamine, était fils d'Execestidas. Il débuta dans son administration en faisant voter la loi Sisachthia, qui portait affranchissement des personnes et des biens. Jusque-là, beaucoup de citoyens engageaient leur liberté pour emprunter, et étaient réduits par le besoin à la condition de mercenaires ; on lui devait à lui-même sept talents sur l'héritage de son père ; il en fit remise, et par là engagea les autres à agir de même. On voit aisément pourquoi cette loi fut appelée Sisachthia, ou loi de décharge. Il proposa ensuite d'autres lois, qu'il serait trop long de rapporter ici, et les fit graver sur des tables de bois. Voici l'un des traits les plus remarquables de sa vie : Les Athéniens et les Mégariens se disputaient la possession de Salamine, sa patrie ; mais les Athéniens, plusieurs fois vaincus, avaient fini par rendre un décret portant peine de mort contre quiconque proposerait de reconquérir cette île. Alors Solon, simulant la folie, s'avança, une couronne sur la tête, au milieu de la place publique ; là, il fit lire par le héraut une pièce de vers dont le sujet était Salamine, et il excita un tel enthousiasme que les Athéniens reprirent les armes contre ceux de Mégare, et furent vainqueurs. Les vers qui firent le plus d'impression sur le peuple sont ceux-ci : Que ne suis-je né à Pholégandre, ou à Sicine, L'une des Sporades.

Plutôt qu'à Athènes! Que ne puis-je changer de patrie! Partout autour de moi j'entendrai ces mots injurieux : « Voici un de ces Athéniens qui ont abandonné Salamine. » Et plus loin : Allons à Salamine, allons reconquérir celte terre précieuse, et secouer le poids de notre honte.

 

11 persuada aussi aux Athéniens de conquérir la Chersonèse de Thrace. Quant à Salamine, pour que l'occupation parût fondée sur le droit, non moins que sur la force, il fit ouvrir quelques tombeaux et montra que les morts étaient tournés vers l'orient, conformément à la coutume athénienne ; que les tombeaux eux-mêmes affectaient cette direction, et que les inscriptions indiquaient la tribu à laquelle le mort appartenait, usage également athénien. On dit aussi qu'à ce vers d'Homère dans l'énumération des vaisseaux : Ajax amena douze vaisseaux à Salamine, il ajouta celui-ci : Et il alla se joindre aux guerriers athéniens.

 

A partir de ce moment, le peuple lui accorda toute sa confiance, au point qu'on l'eût vu avec plaisir s'emparer de la tyrannie. Mais bien loin d'y consentir, il empêcha de tout son pouvoir, au dire de Sosicrate, l'usurpation de Pisistrate, son parent, dont il avait pénétré les ambitieux desseins. Un jour même il se présenta dans l'assemblée, armé de la lance et du bouclier, et dénonça les intrigues de Pisistrate. Il fit plus : il déclara qu'il était prêt à combattre dans l'intérêt public. « Athéniens, dit-il, je suis ou plus sage ou plus courageux que vous ; plus sage que ceux qui ne voient pas les menées de Pisistrate, plus courageux que ceux qui les connaissent et que la crainte rend muets. » Mais l'assemblée, dévouée à Pisistrate, le traita d'insensé. Alors il s'écria : Le temps n'est pas loin où mes concitoyens sauront quelle est ma folie; Ils le sauront quand la vérilé paraîtra au grand jour.

Voici les vers dans lesquels il prédisait la tyrannie de Pisistrate : Tel un nuage vomit et la neige et la grêle, Telle la foudre s'élance du sein de l'éclair enflammé; Tel aussi l'homme puissant couvre de ruine les cités, Et le peuple aveugle, soumis à un maître, tombe en un dur esclavage.

 

Lorsque Pisistrate se fut emparé du pouvoir, Solon refusa de se soumettre et déposa ses armes devant le tribunal des stratèges en s'écriant : « 0 ma patrie, j'ai mis à ton service et ma parole et mon bras! » 11 s'embarqua ensuite pour l'Egypte, d'où il passa en Chypre, et de là à la cour de Crésus. Ce prince lui ayant un jour demandé quel était l'homme le plus heureux, il répondit : « L'Athénien Tellus, Cléobis et Biton. » On connaît le reste de sa réponse. On raconte aussi que Crésus se montra à lui couvert des ornements les plus magnifiques et assis sur son trône, et qu'il lui demanda s'il avait jamais vu plus beau spectacle. « Oui, dit-il, j'ai vu des coqs, des faisans et des paons ; la nature les a ornés d'une parure mille fois plus belle. » En quittant la cour il passa en Silicie et y fonda une ville qui, de son nom, fut appelée Solos. Il y établit quelques Athéniens qui, ayant peu à peu corrompu leur langage par leurs rapports avec les étrangers, donnèrent lieu à l'expression faire des solécismes. On les appelle Soléens, et Soliens les habitants de Solos en Chypre. Solon, lorsqu'il apprit que l'usurpation de Pisistrate était consommée, écrivit aux Athéniens en ces termes :

Si vous expiez durement vos fautes, n'en accusez pas les dieux. C'est vous qui avez fortifié vos ennemis; vous leur avez donné des gardes, et ils en ont profité pour vous imposer un dur esclavage. Chacun de vous en particulier a la ruse du renard ; mais s'agit-il de l'intérêt général ? vous n'avez ni intelligence , ni pénétration. Vous regardez à la langue et aux belles paroles d'un homme, mais pour les actes, vous n'en tenez aucun compte.

Pisistrate de son côté, lorsqu'il eut appris le départ de Solon, lui adressa cette lettre :

 

PISISTRATE A SOLON.

 

Bien d'autres que moi, parmi les Grecs, se sont emparés de la souveraineté ; et d'ailleurs je n'ai fait que rentrer dans mes droits, à titre de descendant de Codrus. J'ai repris un pouvoir que les Athéniens avaient juré de conserver à Codrus et à ses descendants, et qu'ils leur avaient ensuite retiré. Du reste, je ne manque en rien ni aux dieux, ni aux hommes. Je fais observer les lois que tu as données aux Athéniens, et elles le sont beaucoup mieux que sous le gouvernement populaire ; car je ne tolère aucune injustice. Tyran, je n'ai d'autre privilège que celui du rang et de la dignité ; je me contente du tribut que l'on payait autrefois aux rois ; je ne demande à chacun des Athéniens que la dîme de son revenu, non pas pour moi, mais pour l'entretien des sacrifices publics, pour parer aux diverses dé- penses de l'État et aux éventualités de la guerre. Quant à toi, je ne l'en veux point d'avoir dévoilé mes desseins; je sais qu'en cela tu as obéi plutôt à l'amour du bien public qu'à un sentiment de haine personnelle ; d'ailleurs tu ignorais quelle serait mon administration. Si tu l'avais su, tu aurais vu sans déplaisir le succès de mon entreprise, et tu serais encore parmi nous. Reviens donc à Athènes; je n'ai pas besoin de le jurer que Solon n'a rien à craindre de Pisistrate; car lu sais que mes ennemis eux-mêmes n'ont eu qu'à s'applaudir de moi. Si lu veux être de mes amis, tu seras au premier rang, car je connais ta bonne foi et ta loyauté. Que si tu ne veux point habiter Athènes , tu es libre ; mais du moins ce n'est pas moi qui l'exile de ta patrie.

 

Telle est la lettre de Pisistrate. Solon fixait à soixante-dix ans le terme de la vie humaine. Voici quelques-unes de ses lois les plus sages : Si quelqu'un refuse de soutenir ses parents, qu'il soit déclaré infâme. Qu'il en soit de même de celui qui aura dissipé son patrimoine. Qu'il soit permis à chacun d'accuser l'homme oisif. — Lysias dit, dans la harangue contre Nicias, que cette dernière loi fut établie par Dracon, et que Solon ne fit que la confirmer.—11 déclara exclu des charges publiques l'homme qui se prostituerait à un autre ; il modéra les récompenses assignées aux athlètes : pour les jeux olympiques , le prix fut réduit à cinq cents drachmes, à cent pour les jeux isthmiques ; les autres dans la même proportion. Il était absurde, disait-il, d'accorder à des athlètes des récompenses qui devraient être réservées à ceux qui mouraient dans les guerres, et consacrées à nourrir et élever leurs enfants aux frais du public. Ce fut là, du reste, ce qui produisit tant d'actions d'éclat, tant de guerriers illustres, tels que Polyzélus, Cynégire, Callimaque et tous les héros de Marathon, sans compter Harmodius, Aristogiton, Miltiade et mille autres. Quant aux athlètes, leur éducation est coûteuse, leurs victoires ruineuses ; en un mot, leurs couronnes sont prises plutôt sur la patrie que sur les ennemis. Puis, une fois vieux, ils ne sont plus, selon l'expression d'Euripide, Que de vieux manteaux dont il ne reste que la trame.

 

C'est pour ces motifs que Solon en faisait peu de cas. En législateur judicieux, il défendit que le tuteur habitât avec la mère de ses pupilles et que la tutelle fût confiée à celui qui devait hériter en cas de mort des mineurs. Il statua encore que le graveur ne pourrait garder l'empreinte d'un cachet qu'il aurait vendu ; que celui qui aurait crevé l'œil à un borgne perdrait les deux yeux ; que celui qui se serait emparé d'une chose trouvée serait puni de mort ; que l'archonte surpris dans l'ivresse subirait la même peine. Il ordonna de chanter avec suite les poésies d'Homère, le second rhapsode devant toujours commencer où aurait fini le premier. Solon a donc plus fait pour Homère que Pisistrate, suivant la remarque de Diuchidas, au cinquième livre des Mégariques. Les vers que l'on chantait le plus fréquemment étaient ceux-ci :

Ceux qui gouvernaient Athènes, etc.

 

C'est lui qui a surnommé le trentième jour du mois jour de l'ancienne et nouvelle lune ; c'est aussi lui, suivant Apollodore , au second livre des Législateurs, qui a le premier autorisé les neuf archontes à opiner en commun. Une sédition s'étant élevée, il ne prit parti ni pour la ville, ni pour la campagne, ni pour la côte. Il disait que « les paroles sont l'image des actions; que le plus puissant est roi ; que les lois ressemblent à des toiles d'araignées : si un insecte faible y tombe, il est enveloppé; un plus fort les brise et s'échappe. — Le silence, disait-il encore, est le sceau du discours, le temps celui du silence. — Les favoris des tyrans ressemblent aux cailloux dont on se sert pour compter et dont la valeur varie selon la position qu'ils oc- cupent ; tantôt les tyrans donnent à leurs favoris honneurs et puissance, tantôt ils les abaissent. » On lui demandait pourquoi il n'avait pas porté de loi contre les parricides : « C'est, dit-il, que j'ai cru ce crime impossible. » Quelqu'un lui ayant demandé quel était le meilleur moyen de mettre fin à l'injustice, il répondit : « C'est que ceux qu'elle n'atteint pas s'en indignent autant que ceux qui en sont victimes. » « La richesse, disait-il encore, engendre la satiété, et la satiété l'orgueil. » Ce fut lui qui apprit aux Athéniens à régler les jours sur le cours de la lune. Il interdit les tragédies de Thespis, comme n'étant que futilité et mensonges. Lorsque Pisistrate se fut blessé volontairement, Solôn s'écria : « Voilà les enseignements du théâtre. » Voici, d'après Apollodore, dans le traité des Éco les philosophiques, les conseils qu'il, avait coutume de donner : « Ayez plus de confiance dans la probité que dans les serments.—Évitez le mensonge. — Appliquez-vous à des choses utiles. — Ne vous hâtez point de choisir vos amis, mais conservez ceux que vous vous êtes faits.—Avant de commander, apprenez à obéir. — Ne donnez pas le conseil le plus agréable, mais le plus utile.—Prenez la raison pour guide. — Évitez la société des méchants. — Honorez les dieux. — Respectez vos parents. » On dit que Mimnerme ayant exprimé cette pensée : Puissé-je, sans maladie et sans douleur, Terminer ma carrière à l'âge de soixante ans.

 

Solon le reprit ainsi : Si lu veux suivre mes conseils, supprime cela. Ne me sache pas mauvais gré de reprendre un homme tel que toi, Hais reviens sur la pensée et dis : Terminer ma carrière à quatre-vingts ans. »

Les vers suivants, qui font partie des chants gnomiques, sont de lui : Observe avec soin les hommes: Souvent ils cachent dans le cœur un trait acéré, Et vous parlent avec un visage ouvert; Leur langage est double, Leur âme remplie de ténébreuses pensées.

On sait qu'il écrivit des lois ; des harangues ; des exhortations à lui-même; des élégies; cinq mille vers sur Salamine et sur le gouvernement d'Athènes ; des ïambes et des épodes. Au-dessous de sa statue on inscrivit ces vers : Solon! l'Ile qui a brisé la fureur aveugle des Mèdes, Salamine, compte ce divin législateur au nombre de ses enfants.

Il florissait vers la quarante-sixième olympiade. Sosicrate dit qu'il fut archonte à Athènes la troisième année de cette même olympiade, et que c'est alors qu'il donna ses lois. 11 mourut à Chypre à l'âge de quatre-vingts ans, après avoir recommandé à ses amis de transporter son corps à Salamine, de le brûler et d'en répandre la cendre par tout le pays. Cratinus, faisant allusion à ce fait, lui prête ces paroles , dans le Chiron : J'habite celte île, à ce qu'on rapporte; Mes cendres ont été répandues sur toute la ville d'Ajax.

 

Je lui ai aussi consacré une épigrarame dans le livre cité plus haut, où j'ai célébré les morts illustres en vers de toutrhythme, épigrammes et chants lyriques. La voici :

Les flammes ont dévoré le corps de Solon, à Chypre, sur une terre étrangère ; Mais Salamine a recueilli ses restes, et leur poussière engraisse les moissons. Un char rapide a emporté son âme vers les cieux; Car il portait ses lois, fardeau léger.

On lui attribue cette sentence : « Rien de trop. » Dioscoride raconte, dans les Commentaires, que Solon pleurant la mort de son fils, sur le nom du- quel il ne nous est rien parvenu, quelqu'un lui dit : « Vos larmes sont inutiles. — C'est pour cela même que je pleure, répondit-il; parce qu'elles sont inutiles. » Voici des lettres qu'on lui attribue :

 

SOLON A PÉRIANDRE.

 

Tu m'écris que tu es environné de conspirateurs. Mais quand lu te débarrasserais de tous tes ennemis connus, tu n'en serais pas plus avancé. Ceux-là même que tu ne soupçonnes pas conspireront contre toi, celui-ci parce qu'il craindra pour lui- même, et autre parce que, te voyant assiégé de terreurs, il n'aura pour toi que du mépris. Enfin, ne fusses-tu pas suspect, il se trouverait encore une foule de gens qui en conspirant contre toi croiraient bien mériter du pays. Le mieux est donc de renoncer à la tyrannie, pour bannir tout sujet de crainte. Si cependant tu ne peux te résoudre à l'abandonner, songe à te procurer des forces étrangères supérieures à celles du pays; par ce moyen tu n'auras plus rien à craindre et tu ne seras obligé d'attenter à la vie de personne.

 

SOLON A ÉPIMÉN1DE.

 

Mes lois, par elles-mêmes, ne pouvaient être d'une grande utilité à Athènes, pas plus que les purifications auxquelles tu as présidé. La religion et les législateurs ne peuvent à eux seuls rendre les cités heureuses ; mais telles sont les dispositions de ceux qui gouvernent la multitude, tels sont aussi les fruits de la religion et des lois, Gouvernent-ils bien ? elles sont utiles; s'ils gouvernent mal, elles ne servent à rien. Mes lois n'ont point rendu mes concitoyens meilleurs, parce que les chefs ont perdu la république en permettant à Pisistrale d'arriver à la tyrannie. J'eus beau avertir, on ne me crut pas ; les Athéniens eurent plus de foi à ses discours flatteurs qu'à mes avertissements sincères. Alors, déposant mes armes devant le tribunal des stratèges, je dis que j'étais plus clairvoyant que ceux qui ne voyaient pas les desseins tyranniques de Pisistrate et plus courageux que ceux qui, les voyant, n'osaient pas les combattre. Mais eux, ils m'accusaient de folie. Je m'écriai alors : « 0 ma patrie, je suis prêt à te défendre de ma parole et de mon bras; mais ils me traitent d'insensé; je pars donc, je laisse le champ libre à Pisistrate, moi son seul ennemi. Quant à eux, qu'ils se fassent ses satellites si bon leur semble. » Tu connais Pisistrate, ô mon ami ; tu sais avec quelle habileté il s'est emparé de la tyrannie : il commença par flatter le peuple; ensuite il se fil volontairement une blessure, courut au tribunal des héliastes, en criant que c'étaient ses ennemis qui l'avaient traité ainsi, et demanda quatre cents jeunes gens pour sa garde. J'eus beau protester, il obtint tout ce qu'il voulut, et, entouré de ces satellites armés de massues, il renversa le gouvernement populaire. Le peuple, qui n'avait eu pour but que d'affranchir le pauvre de l'esclavage, passa lui-même sous le joug et devint l'esclave d'un seul, de Pisistrate.

 

SOLON A PISISTRATE.

 

Je te crois, lorsque tu assures que je n'ai rien à craindre de ta part. J'étais ton ami avant ton usurpation, et, maintenant encore, je ne suis pas plus ton ennemi que tout autre Athénien qui hait la tyrannie. Le gouvernement d'un seul vaut-il mieux pour Alhènes que la démocratie ? c'est une question que chacun peut décider à son gré. J'avoue même que lu es le meilleur de tous les tyrans ; mais je ne juge pas à propos de retourner à Athènes. Si je le faisais, après avoir établi l'égalité et refusé pour mon compte la tyrannie que l'on m'offrait, on pourrait m'accuser d'approuver ta conduite.

 

SOLON A CRÉSUS.

 

Je te remercie de ta bienveillance à mon égard. Je le jure par Minerve que, si je ne voulais avant tout vivre dans un état libre, je préférerais le séjour de ton royaume à celui d'Athènes opprimée par la tyrannie de Pisistrate. Mais il me convient mieux de vivre là où règne une juste égalité. J'irai cependant auprès de toi pour y jouir quelque temps de ton hospitalité.

 

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